
Penser la culture autrement pour réussir les transformations
Evaluerl'"écart" plutôt que la différence : cas pratique
octobre 2025

décembre 2025
Cet article explore la question suivante : pourquoi les projets de transformation échouent-ils encore — et de manière si prévisible — lorsqu’ils négligent la dimension humaine et culturelle, particulièrement dans les fusions-acquisitions (M&A) ?
Pour y répondre, j’examine la situation du point de vue de ceux qui la vivent et l’observent chaque jour : managers et employés, DRH, direction générale, mais aussi consultants spécialisés en M&A.
J’ai mené un travail d’enquête sur le terrain et j’explore le phénomène : le but est de montrer où et comment ça se plante, pourquoi ce n’est pas une surprise, et en quoi une compréhension plus fine des dynamiques humaines et culturelles pourrait changer radicalement l’issue des projets.
Après 20 ans dans l'accompagnement d'équipes au cœur des organisations, j’observe un phénomène récurrent : dans les transformations majeures, et plus lors des fusions-acquisitions, les mêmes signaux apparaissent :
Fatigue des équipes. Surcharge des managers. Injonctions contradictoires. Visions stratégiques mouvantes. Cultures qui ne se rencontrent pas.
Et un terrain qui s’épuise à essayer de faire tenir ensemble ce qui n’a pas été pensé ensemble.
On parle souvent de "crise du management".
Mais dans les fusions, comme dans les transformations complexes : la crise n’est pas managériale, la crise est organisationnelle, la crise est culturelle.
Une fusion n’est pas la simple addition de bilans ou de technologies.
C’est la collision de deux façons de fonctionner, de deux histoires professionnelles, de deux cultures — avec leurs codes, leurs réflexes, leurs visions du “bon travail”.
Tout comme un projet de transformation majeure est la collision entre quelque chose qui disparaît avec une autre forme qui émerge.
Les données le confirment : 70 à 80 % des fusions-acquisitions n’atteignent pas leurs objectifs. Et l'expérience nous montre que les projets de transformation butent toujours sur les mêmes écueils.
Le constat est simple les personnes sont compétentes dans leur rôle individuel…mais il manque :
Lorsque cette dimension organisationnelle et culturelle n’a pas été anticipée, le terrain s’en charge très vite : incompréhensions, résistances, perte de sens, blocages dans l’exécution, érosion de la confiance. Le "non-dit avant" émerge et se fait connaître.
Alors que le deal a été minutieusement préparé dans ses aspects juridiques, opérationnels et financiers, la dimension culturelle — pourtant déterminante — reste souvent implicite, repoussée, ou considérée comme un sujet “pour plus tard”.

Pour quelle raison ce choix est il fait ?
Quand j'étais jeune consultant je pensais que les patrons n'étaient pas compétents et qu'ils étaient seulement formés à la finance et surtout qu'ils avaient un sens politique et de la survie hors pair. Lors de la première fusion que j'ai vécue en tant qu'employé RH, j'avais l'impression que chaque direction s'échangeaient des cartes Pokemon pour placer leurs protégés. Quelques uns avaient acquis la dimension humaines et voyaient "plus loins".
Avec des années de recul je me rends compte que mon constat était trop simple et que le phénomène est plus sociétal et culturel que managérial.
Mais alors, pour quelle(s) raison(s) les mêmes logiques se répètent malgré l’expérience accumulée et les résultats constatés .
Je ne tire pas de conclusion mais propose un parcours de témoignages
Après chaque témoignage, je partage des questions qui peuvent aider à réfléchir à chaque niveau de l'organisation.
L’objectif est d'avoir une trame de fonctionnement pour permettre d’anticiper, de créer du dialogue pour permettre aux projets d’optimiser leur impacts économiques, sociaux et environnementaux.
Il n'est pas possible (ni juste) de suivre un mode opératoire unique à toutes les organisations. Celui-ci est déterminé par les acteurs de chaque situation. La première étape est de se poser les bonnes questions.
Avant de parcourir tout ceci, d’abord un bref rappel sur ce qu’est une fusion-acquisition

Une fusion-acquisition, ou M&A, désigne le rapprochement de deux entreprises pour unir leurs forces et gagner en solidité, en compétitivité ou en capacité de développement.
Si vous fusionnez deux équipes ou créez une synergie entre deux activités dans votre entreprise, je classe ce projet dans le cadre de fusion (interne)
Pour l’externe, il en existe deux formes principales :
Pour les équipes, ces opérations créent souvent de l’incertitude : restructurations, changements de rôles, nouvelles méthodes de travail, évolution du management, adaptation culturelle.
Pour les actionnaires, elles sont généralement perçues comme des opportunités : synergies, économies d’échelle, croissance plus rapide, renforcement stratégique.

Lorsqu’une fusion-acquisition se déploie sans véritable préparation culturelle et organisationnelle au niveau humain, les signaux du terrain sont étonnamment constants, d’une organisation à l’autre.
Une fois l’intégration lancée, les premiers signes apparaissent rapidement. Ce ne sont pas des crises spectaculaires, mais de petites frictions qui s’accumulent : des réunions qui s’allongent, des décisions qui prennent du retard, des méthodes de travail qui s’entrechoquent. Sur le papier, tout semblait cohérent. Dans la réalité, le quotidien se grippe.
Ce quotidien révèle ce que le deal avait laissé de côté : la manière dont les personnes vivent le changement, s’adaptent… ou résistent.
Voici, en général, ce que les employés et les managers expriment le plus souvent :

Depuis que je fais mon métier, je n’ai pas vu de managers ou des équipes vouloir abandonner par désintérêt ou égoïsme. Ce que chacun recherchent, au fond, c’est retrouver ce qu’ils ont déjà connu : une équipe engagée, performante, et satisfaite de travailler ensemble — un collectif qui coopère et qui retrouve son énergie.
Lorsque les premiers signes de dysfonctionnement apparaissent, les premiers besoins exprimés sont en général d’ avoir des équipes correctement staffées, avec des personnes compétentes, en nombre suffisant pour assurer la charge de travail.
Une fois cette condition réunie, la demande suivante concerne la motivation et la cohésion : comment retisser du lien, redonner de l’élan, recréer un collectif capable d’avancer ensemble ?
Ceux qui abandonnent c’est qu’ils ont perdu espoir et ont recherché une nouvelle opportunité pour continuer leur chemin.
Voici quelques questions simples et efficaces pour nourrir vos échanges d'équipe
Cela tient dans un workshop de 2 heures :

Imaginez que vous êtes DRH, et depuis la fusion, les demandes affluent. Staffing, soutien opérationnel, réorganisation… Rien d’étonnant, vous le saviez. Et pourtant, vous voilà coincé.e. Pas de budget pour recruter (car on vous a demandé de diminuer le staff), aucune marge pour accompagner les équipes (il y a bien eu la journée de sensibilisation aux équipes « prêts, in-formés et positifs», la formation de deux demi-jours sur le « leader au sommet » et l’atelier pendant le temps de midi « soyons zen et performants » pour les agents au changement de chaque les services.. mais vous sentez bien que ce n’est peut-être pas suffisant.
D’autant plus que le consultant qui anime les formations semble répéter ce qu’il a dit à la boite d’en face – un slide sur le fonctionnement du cerveau et le cycle circadien de la récupération, il vous partage en bonus des conseils de nutrition. Un ex-sportif de haut niveau il parait, il communique beaucoup ses succès sur les réseaux sociaux, c’est un pote à Rob, le CEO. Il parle de l’importance de créer du sens et de la valeur pour les clients. C’est rassurant pour la direction d’avoir quelqu’un qui relaie les messages et qui « descend » l’info. Vous avez trouvé ces initiatives sympa, en tant que RH vous avez été dire bonjour au groupe de managers à la pause, mais quand vous retournez au bureau votre situation n’a pas changée, juste quelques mails de plus encore à traiter.
Vous constatez chaque matin que les ressources internes (y compris les vôtres) sont déjà tirées à leur maximum. Chaque jour qui passe vous confirme que le marché manque de CV qualifiés pour vos recherches de CDD.
Et pourtant vous savez que les sollicitations de vos équipes ne sont pas des caprices. Elles révèlent des besoins profonds, essentiels pour garder les équipes en mouvement.
Mais, vous vous voyez dire non à toutes ces demandes faute de budget.
Vous vous demandez pourquoi ces coûts “humains” se retrouvent-ils enfermés dans l’enveloppe RH au lieu d’être prévus dans une enveloppe « transformation » dès le deal ?
Vous décidez d’aller voir votre CEO pour en parler. Vous prenez un recul pour amener quelque chose de constructif.
Voici par exemple 5 questions que vous préparez avant le meeting :

(*j’ai également interviewé des CEO sur le sujet pour obtenir leur apprentissages suite à des projets de transformation).
Il est lundi matin 9h00 et vous (DRH), allez voir Rob, votre CEO
Il vous dit : «Ah bonjour, c'est super de te voir en forme, assieds-toi… et ferme la porte, s’il te plaît. J’ai quelque chose à te confier. Garde ça pour toi, je veux te parler de la fusion. ».
« J’ai besoin de toi. Aide-moi. Conseille-moi. »
Et il commence : nous avons encore de bons résultats mais je suis inquiet des points suivants :
Puis il revient sur le sujet de votre meeting :
C’est une bonne idée de créer cette dynamique d’équipe que tu me proposes et…commençons par le Comité de direction :
Puis Rob vous fait une demande : trouve moi un moment à l’extérieur avec le Codir ou on va pouvoir travailler sur notre équipe de direction, sur nos ressources de leadership et aussi sur nos angles morts individuels et collectifs. J’ai besoin d’un endroit et d’un temps pour que l’on s’adresse les points.
Il reste 2 minutes à votre réunion. Il vous regarde et conclut :
« Aujourd’hui, je comprends que ce que je voulais prouver — l’efficacité, la vitesse, le pilotage serré — a parfois empêché l’intégration profonde. Et que la fusion, aussi brillante soit-elle sur le papier, reste fragile si l’humain n’est pas réellement intégré dans l’équation ».
Mettons ces points en priorité dans nos agendas et organisons un moment entre nous sur ces thèmes.

Avoir une posture de remise en question comme le fait ce CEO n’est pas anodine. Imaginez que votre équipe de direction s’est déjà engagée sur des économies, des synergies, de la création de valeur. On a montré le meilleur scénario possible aux actionnaires. Revenir sur la discussion et reconnaître qu’il faudra investir plus dans l’humain, ce serait admettre que certains impacts ont été sous-estimés au moment du deal ou que le leadership en place n’est pas à la hauteur pour mettre l'opération en place.
Alors la seule stratégie est d’être positif, créatif et de faire tourner la machine pour que les managers colmatent les brèches, que les collaborateurs tiennent les opérations, et planifier que l’automatisation ou l’outsourcing feront le reste. Dans ce plan il faut minimiser les plaintes et les voix négatives. Si vous êtes au conseil d'administration, vous pouvez gagner un peu de temps et une option est de licencier Rob et de placer un interim nettoyeur, quelqu'un de nouveau pour piloter avec plus d'efficacité. Vous arriverez au même constat dans deux ans.
On comprend donc bien que revenir sur ce qui ne va pas demande du courage de nommer les choses, de la témérité d'aller à contre courant de la culture ambiante mais au fond... ce n'est que de la lucidité.

En faisant mes recherches, j’ai été questionner des consultants M&A
Voici leur retour, très cash:
On nous demande de produire des chiffres. L’audit culturel n’est presque jamais réalisé
· « Ce n’est pas dans les process. »
· « La culture ne rentre pas dans un Excel. »
· « On veut aller vite. »
· « Il n’existe pas d’auditeur culturel. » Ce sont les financiers et les juristes qui s’occupent du deal
Et ils ajoutent, presque fataliste :
« On repousse toujours le sujet. Mais quand on y revient… il est déjà trop tard. On tombe souvent sur le même angle mort dans les fusions-acquisitions : on audite tout, absolument tout….On analyse les chiffres, les marchés, les risques juridiques, mais on ne se pose pas les questions les plus simples : Est-ce qu’on va vraiment pouvoir travailler ensemble ? Comment ce dirigeant traite-t-il ses équipes ? Qu’est-ce que ses clients pensent de lui ? »
Lorsque j’évoque la possibilité de proposer systématiquement un audit culturel, la réponse est rapide : « La culture financière prime. Les dirigeants veulent du chiffre, du mesurable. Les conséquences humaines, ce sera pour plus tard — et ce n’est pas eux qui devront les gérer. »
Dans la logique du M&A, on fonce : pression du calendrier, culture du “delivery”, plans Excel et PowerPoint qui poussent à aller droit au but, a donner des résultats et produire des rapports qui minimisent l’incertitude.
On privilégie ce qu’on a l’habitude de mesurer et on repousse le reste. Et pourtant, c’est là que tout se joue. Sans communication transparente, sans participation des équipes, sans adhésion, on crée de l’anxiété, du turnover, de la résistance.
On oublie que derrière la promesse de synergies, ce sont des humains qui se demandent : « Qu’est-ce qui va m’arriver ? Est-ce que je garde mon poste ? À quelle sauce vais-je être mangé ? » Au final, c’est pour ces raisons que la majorité des M&A ne créent pas la valeur attendue. C’est vraiment dommage car on pouvait l’anticiper. Cela couterait même moins cher que les effets de bords négatifs créés par la manière de faire actuelle.

Laissez-vous surprendre par la ou les phrases de conclusion qui vous viennent à l’esprit.
Les paragraphes précédents sont issus de mon expérience, de mes recherches et de l'expériences des personnes que j'ai rencontrées.
Peut être avez vous rencontré des situations différentes ou avez vous une autre perspective ?
Je suis curieux de vous entendre/lire et de partager la suite de la réflexion/action avec vous.
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